résistance au changement

Le changement dans l’entreprise, dans les organisations est nécessairement d’une part individuel, d’autre part collectif. Les deux dimensions doivent être prises en compte lorsqu’une structure souhaite impulser un changement, c’est à dire et d’abord, donner l’envie de ce changement, changement qui ne se produit qu'en apparence lorsqu'il est décrété. Cet « en donner l’envie » ne va pas toujours de soi pour les personnes qui invoquent et le promeuvent ce(s) changement(s).

Pourquoi changer ?

En effet, si l’on vous dit «changez», mille moyens, conscients ou inconscients, vous sont offerts pour ne pas le faire, pour résister de façon active, passive, individuelle, collective, involontaire...
Le sociologue Michel Crozier, dans son livre «L’acteur et le système», l’a démontré voici quelques décennies ; dit avec des mots simples : chacun a, pour ne pas changer, ses raisons que La Raison ne connaît pas.

Que vous manque-t-il, en tant qu’individu, pour changer un quotidien sinon épanouissant aujourd’hui, du moins connu ? Et bien par exemple, la prise en compte des motivations individuelles et singulières des personnes dans le cadre de changements collectifs. Si j’étais très psy, je dirais «la mise en perspective du manque», manque d’où sourd le désir ("quand y a pas de manque, y a pas de désir"). Le désir, disons ici l’envie et le sens, mais un sens qui en ait pour "moi" et non un sens ou un désir parachutés par quelque instance décisionnelle. Comme chez le jeune enfant, un «pourquoi (changer) ?» pointe son nez chez l’adulte. L’envie de savoir ce qu’il en serait des faits, du quotidien individuel et de l’avenir une fois le changement advenu, se le dispute à la perspective du risque à quitter le déjà-connu.
Qu’ai-je à gagner et à perdre à changer (enjeux) ? Et si je suis seul à changer, ne vais-je pas être décalé par rapport aux personnes ou au groupe qui lui, ne changera peut-être pas?

Changer soi-même pour que les autres changent

Le changement, autrement dit, ne se décrète pas : il s’incarne. Individuellement d’abord, ainsi que collectivement, et en commençant par impulser des changements visibles et réels au sommet de la hiérarchie de l'organisation.

Pour faire changer des fonctionnements et relations à 2 ou plus, il faut toujours commencer par soi-même changer. Mais changer vraiment, en vous demandant pourquoi vous le faites. Changer d’habits, de coiffure, de logo, de discours, de slogan, de plan, de dirigeant, est-ce changer ? Et bien sûr, si pour telle raison vous changez, ne vous imaginez pas que les autres auront les mêmes raisons, «parce-que-c’est-évident-ça-va-de-soit-et-il-faut-car-on-n’a-pas-le-choix».

Si vous êtes ou devez être un des moteurs du changement, soyez factuellement, et non verbalement dans le changement. J’ai rapporté ailleurs, dans un travail sur la Responsabilité Soci(ét)ale des Entreprises, des constats de réussites de changements qui vont dans ce même sens : la nécessité, non d’un placage (du changement), mais d’une intégration à la structure de cette dimension de changement «gagnant-gagnant».

Avant même le changement, voyez où vous voulez aller. Discernez vos finalités, vos buts ; quantifiez vos objectifs, écrivez vos indicateurs de réussite. Partagez vos réflexions : mettez les autres en intelligence avec vous, c’est à dire, partagez et multipliez ce pouvoir qui vous échoit. Faut-il changer pour aller d’ici à là ? Posez aux autres la question, sortez-les du train-train : «si pour telle et telle raison que voici, nous devons aller d’ici à là, comment pourrions-nous nous y prendre ?».

La «perte» de temps dans ce partage et cette mise en commun, vous rend gagnant sur différents plans :
  • vous instaurez un climat de confiance,
  • vous reconnaissez l’autre et sa contribution revêt de la valeur,
  • vous trouvez plus d’idées dans 10 cerveaux que dans un seul, fut-ce le brillant vôtre,
  • les personnes que vous mettez à contribution se sentent plus actrices, qu’«agies» ; plus sujet, qu'objet (pion)…

La vision "psy"

Le changement, d’un point de vue psy, devrait aussi considérer l’existence en nous de ce que Freud appelait des "pulsions de vie et des pulsions de mort". Je passe rapidement ici sur la dimension vie – changer pour mieux, mettre au monde, inventer, être ou aller dans le plaisir, découvrir, apprendre… - pour évoquer cette dimension de mort, de minéralité, de jalousie, voire d’agression ou d’auto agression et de dépréciation. Il me semble que ces processus inconscients, à l’œuvre tant individuellement que collectivement, doivent être pris en compte y compris en ce qui concerne les dynamiques de changement dans les organisations. La résistance au changement, la compulsion à répéter le déjà-connu, l’effort inconscient produit pour échouer sont des dimensions aussi irrationnelles que patentes, à identifier et à nommer, tant individuellement que collectivement, par exemple dans de petits groupes.
Eugène Enriquez, psychanalyste, enseignant et sociologue des organisations, a écrit des pages passionnantes sur des sujets connexes, analysant le fonctionnement des organisations avec une grille de lecture psychanalytique.